Cycle de dix mélodies
Pour voix haute et piano
Poèmes de Théophile Gautier
Éditions Heugel Partition à la BNF Paris Richelieu
Section Musique (Cote : Fol Vm7 27394)
Notes sur l’enregistrement et l’œuvre
Les Vidéos : Cyrille Dubois (Ténor) – Jeff Cohen (Piano)
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1. Les Matelots
2. La Source
3. La Rose-Thé
4. Le Banc de pierre
5. Le Luxembourg
6. La Caravane
7. Barcarolle
8. L’Échelle d’amour
9. Le Poète et la foule
10. Le Puits mystérieux
1. les Matelots
Sol mineur (Ré3-Sol4)
Sur l’eau bleue et profonde
Nous allons voyageant,
Environnant le monde
D’un sillage d’argent,
Des îles de la Sonde,
De l’Inde au ciel brûlé,
Jusqu’au pôle gelé…
Les petites étoiles
Montrent de leur doigt d’or
De quel côté les voiles
Doivent prendre l’essor ;
Sur nos ailes de toiles,
Comme de blancs oiseaux,
Nous effleurons les eaux. Nous pensons à la terre
Que nous fuyons toujours,
À notre vieille mère,
À nos jeunes amours ;
Mais la vague légère
Avec son doux refrain
Endort notre chagrin. Existence sublime !
Bercés par notre nid,
Nous vivons sur l’abîme
Au sein de l’infini ;
Des flots rasant la cime,
Dans le grand désert bleu
Nous marchons avec Dieu !
2. La Source
Si mineur (Mi3-Sol#4)
Tout près du lac filtre une source,
Entre deux pierres, dans un coin ;
Allègrement l’eau prend sa course
Comme pour s’en aller bien loin. Elle murmure : Oh ! quelle joie !
Sous la terre il faisait si noir !
Maintenant ma rive verdoie,
Le ciel se mire à mon miroir. A ma coupe l’oiseau s’abreuve ;
Qui sait ? – Après quelques détours
Peut-être deviendrai-je un fleuve
Baignant vallons, rochers et tours. Je broderai de mon écume
Ponts de pierre, quais de granit,
Emportant le steamer qui fume
A l’Océan où tout finit. Mais le berceau touche à la tombe ;
Le géant futur meurt petit ;
Née à peine, la source tombe
Dans le grand lac qui l’engloutit !
3. La Rose-Thé
La bémol Majeur (Fa3-Lab4)
La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté. On dirait une rose blanche
Qu’aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d’ardeur. Son tissu rose et diaphane
De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité. Mais, si votre main qui s’en joue,
A quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
Son frais éclat devient commun. Il n’est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans. La peau vaut mieux que le pétale,
Et le sang pur d’un noble coeur
Qui sur la jeunesse s’étale,
De tous les roses est vainqueur !
4. Le Banc de pierre
La mineur/Majeur (Ré3-Fa#4)
Au fond du parc, dans une ombre indécise,
Il est un banc, solitaire et moussu,
Où l’on croit voir la rêverie assise,
Triste et songeant à quelque amour déçu.
Le souvenir dans les arbres murmure,
Se racontant les bonheurs expiés ;
Et, comme un pleur, de la grêle ramure
Une feuille tombe à vos pieds. Ils venaient là, beau couple qui s’enlace,
Aux yeux jaloux tous deux se dérobant,
Et réveillaient, pour s’asseoir à sa place,
Le clair de lune endormi sur le banc.
Ce qu’ils disaient, la maîtresse l’oublie ;
Mais l’amoureux, cœur blessé, s’en souvient,
Et dans le bois, avec mélancolie,
Au rendez-vous, tout seul, revient. Pour l’œil qui sait voir les larmes des choses,
Ce banc désert regrette le passé,
Les longs baisers et le bouquet de roses
Comme un signal à son angle placé.
Sur lui la branche à l’abandon retombe,
La mousse est jaune, et la fleur sans parfum ;
Sa pierre grise a l’aspect de la tombe
Qui recouvre l’Amour défunt !…
5. Le Luxembourg
Mi mineur/Sol Majeur (Mi3-La4)
Au Luxembourg souvent, lorsque dans les allées
Gazouillaient des moineaux les joyeuses volées,
Qu’aux baisers d’un vent doux, sous les abîmes bleus
D’un ciel tiède et riant, les orangers frileux
Hasardaient leurs rameaux parfumés, et qu’en gerbes
Les fleurs pendaient du front des marronniers superbes,
Toute petite fille, elle allait du beau temps
À son aise jouir et folâtrer longtemps,
Longtemps, car elle aimait à l’ombre des feuillages
Fouler le sable d’or, chercher des coquillages,
Admirer du jet d’eau l’arc au reflet changeant
Et le poisson de pourpre, hôte d’une eau d’argent ;
Ou bien encor partir, folle et légère tête,
Et, trompant les regards de sa mère inquiète,
Au risque de brunir un teint frais et vermeil,
Livrer sa joue en fleur aux baisers du soleil !
6. La Caravane
Do mineur (Ré3-La4)
La caravane humaine au Sahara du monde,
Par ce chemin des ans qui n’a pas de retour,
S’en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour,
Et buvant sur ses bras la sueur qui l’inonde. Le grand lion rugit et la tempête gronde ;
A l’horizon fuyard, ni minaret, ni tour ;
La seule ombre qu’on ait, c’est l’ombre du vautour,
Qui traverse le ciel cherchant sa proie immonde. L’on avance toujours, et voici que l’on voit
Quelque chose de vert que l’on se montre au doigt :
C’est un bois de cyprès semé de blanches pierres.
Dieu, pour vous reposer, dans le désert du temps,
Comme des oasis, a mis les cimetières :
Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.
7. Barcarolle
La Majeur (Mi3-Sol#4)
Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler ! L’aviron est d’ivoire,
Le pavillon de moire,
Le gouvernail d’or fin ;
J’ai pour lest une orange,
Pour voile une aile d’ange,
Pour mousse un séraphin. Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler ! Est-ce dans la Baltique,
Sur la mer Pacifique,
Dans l’île de Java ?
Ou bien dans la Norvège,
Cueillir la fleur de neige,
Ou la fleur d’Angsoka ? Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler ! Menez-moi, dit la belle,
À la rive fidèle
Où l’on aime toujours.
Cette rive, ma chère,
On ne la connaît guère
Au pays des amours.
8. L’Échelle d’amour
Si Majeur (Ré#3-Sol#4)
Sur le balcon où tu te penches
Je veux monter, efforts perdus !
Il est trop haut, et tes mains blanches
N’atteignent pas mes bras tendus. Pour déjouer ta duègne avare,
Jette un collier, un ruban d’or;
Ou des cordes de ta guitare
Tresse une échelle, ou bien encor Ote tes fleurs, défais ton peigne,
Penche sur moi tes cheveux longs,
Torrent de jais dont le flot baigne
Ta jambe ronde et tes talons. Aidé par cette échelle étrange,
Légèrement je gravirai,
Et jusqu’au ciel, sans être un ange,
Dans les parfums je monterai.
9. Le Poète et la foule
Do mineur (Mib3-La4)
La plaine un jour disait à la montagne oisive :
« Rien ne vient sur ton front des vents toujours battu ! »
Au poète, courbé sur sa lyre pensive,
La foule aussi disait : « Rêveur, à quoi sers-tu ? » La montagne en courroux répondit à la plaine :
« C’est moi qui fais germer les moissons sur ton sol ;
Du midi dévorant je tempère l’haleine ;
J’arrête dans les cieux les nuages au vol ! Je pétris de mes doigts la neige en avalanches ;
Dans mon creuset je fonds les cristaux des glaciers,
Et je verse, du bout de mes mamelles blanches,
En longs filets d’argent, les fleuves nourriciers. » Le poète, à son tour, répondit à la foule :
« Laissez mon pâle front s’appuyer sur ma main.
N’ai-je pas de mon flanc, d’où mon âme s’écoule,
Fait jaillir une source où boit le genre humain ? »
10. Le Puits mystérieux
Mi mineur/Majeur (Ré#3-Sol4)
À travers la forêt de folles arabesques
Que le doigt du sommeil trace au mur de mes nuits,
Je vis, comme l’on voit les fortunes des fresques,
Un jeune homme penché sur la bouche d’un puits. Il jetait, par grands tas, dans cette gueule noire
Perles et diamants, rubis et sequins d’or,
Pour faire arriver l’eau jusqu’à sa lèvre, et boire ;
Mais le flot flagellé ne montait pas encore. Hélas ! Que d’imprudents s’en vont aux puits, sans corde,
Sans urne pour puiser le cristal souterrain,
Enfouir leur trésor afin que l’eau déborde,
Comme fit le corbeau dans le vase d’airain ! Hélas ! Et qui n’a pas, épris de quelque femme,
Pour faire monter l’eau du divin sentiment,
Jeté l’or de son cœur au puits sans fond d’une âme,
Sur l’abîme muet penché stupidement !
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