Camille Saint-Saëns (1835-1921)
« Pourquoi bondissez-vous sur la plage » op.129
Poème d’Alphonse de Lamartine
Editions Durand

Pour Chœur à 4 voix d’hommes A cappella
(ténors 1 – ténors 2 – barytons – basses)
Allegretto à 6/8
Début en Sol Majeur et fin en Do Majeur
Partition

Chamber men’s choir, les Chantres Musiciens, Montreal Canada

Pourquoi bondissez-vous sur la plage écumante,
Vagues dont aucun vent n’a creusé les sillons ?
Pourquoi secouez-vous votre écume fumante
En légers tourbillons ?

Pourquoi balancez-vous vos fronts que l’aube essuie,
Forêts, qui tressaillez avant l’heure du bruit ?
Pourquoi de vos rameaux répandez-vous en pluie
Ces pleurs silencieux dont vous baigna la nuit ?

Pourquoi relevez-vous, ô fleurs, vos pleins calices,
Comme un front incliné que relève l’amour ?
Pourquoi dans l’ombre humide exhaler ces prémices
Des parfums qu’aspire le jour ?

Vous qui des ouragans laissiez flotter l’empire,
Et dont l’ombre des nuits endormait le courroux,
Sur l’onde qui gémit, sous l’herbe qui soupire,
Aquilons, autans, zéphire,
Pourquoi vous éveillez-vous ?

Et vous qui reposez sous la feuillée obscure,
Qui vous a réveillés dans vos nids de verdure ?
Oiseaux des ondes et des bois,
Hôtes des sillons ou des toits,
Pourquoi confondez-vous vos voix
Dans ce vague et confus murmure
Qui meurt et renaît à la fois
Comme un soupir de la nature ?

Et moi sur qui la nuit verse un divin dictame,
Qui sous le poids des jours courbe un front abattu,
Quel instinct de bonheur me réveille ? Ô mon âme,
Pourquoi me réjouis-tu ?

C’est que le ciel s’entr’ouvre ainsi qu’une paupière,
Quand des vapeurs des nuits les regards sont couverts ;
Dans les sentiers de pourpre aux pas du jour ouverts,
Les monts, les flots, les déserts,
Ont pressenti la lumière,
Et son axe de flamme, aux bords de sa carrière,
Tourne et creuse déjà son éclatante ornière,
Sur l’horizon roulant des mers.

Chaque être s’écrie :
C’est lui, c’est le jour !
C’est lui, c’est la vie !
C’est lui, c’est l’amour !
Dans l’ombre assouplie
Le ciel se replie
Comme un pavillon ;
Roulant son image,
Le léger nuage
Monte, flotte et nage
Dans son tourbillon ;
La nue orageuse
Se fend et lui creuse
Sa pourpre écumeuse
En brillant sillon ;
Il avance, il foule
Ce chaos qui roule
Ses flots égarés ;
L’espace étincelle,
La flamme ruisselle
Sous ses pieds sacrés ;
La terre encor sombre
Lui tourne dans l’ombre
Ses flancs altérés ;
L’ombre est adoucie,
Les flots éclairés,
Des monts colorés
La cime est jaunie ;
Des rayons dorés
Tout reçoit la pluie ;
Tout vit, tout s’écrie,
C’est lui, c’est le jour !
C’est lui, c’est la vie !
C’est lui, c’est l’amour !



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