Maurice Ravel (1875-1937)
Trois Poèmes pour Chant et Orchestre (ou Piano)
Sur des vers de Tristan Klingsor
1. Asie
2. La Flûte enchantée
3. L’Indifférent
Éditions Durand

Pour mezzo-soprano et orchestre (ou piano)
Partitions (orchestre et piano)
Partition en ligne

Anne Sofie von Otter (mezzo-soprano)
The Cleveland Orchestra
Pierre Boulez (direction)


1. Asie
Très lent à 4/4
Mi bémol mineur (Réb3-Solb4)

Asie, Asie, Asie !
Vieux pays merveilleux des contes de nourrice
Où dort la fantaisie comme une impératrice
En sa forêt tout emplie de mystère.

Asie,
Je voudrais m’en aller avec la goélette
Qui se berce ce soir dans le port
Mystérieuse et solitaire
Et qui déploie enfin ses voiles violettes
Comme un immense oiseau de nuit dans le ciel d’or.

Je voudrais m’en aller vers des îles de fleurs
En écoutant chanter la mer perverse
Sur un vieux rythme ensorceleur.
Je voudrais voir Damas et les villes de Perse
Avec les minarets légers dans l’air.
Je voudrais voir de beaux turbans de soie
Sur des visages noirs aux dents claires;
Je voudrais voir des yeux sombres d’amour
Et des prunelles brillantes de joie
En des peaux jaunes comme des oranges;
Je voudrais voir des vêtements de velours
Et des habits à longues franges.
Je voudrais voir des calumets entre des bouches
Tout entourées de barbe blanche ;
Je voudrais voir d’âpres marchands aux regards louches,
Et des cadis, et des vizirs
Qui du seul mouvement de leur doigt qui se penche
Accordent vie ou mort au gré de leur désir.
Je voudrais voir la Perse, et l’Inde, et puis la Chine,
Les mandarins ventrus sous les ombrelles,
Et les princesses aux mains fines,
Et les lettres qui se querellent
Sur la poésie et sur la beauté ;
Je voudrais m’attarder au palais enchanté
Et comme un voyageur étranger
Contempler à loisir des paysages peints
Sur des étoffes en des cadres de sapin
Avec un personnage au milieu d’un verger;
Je voudrais voir des assassins souriant
Du bourreau qui coupe un cou d’innocent
Avec son grand sabre courbé d’Orient.
Je voudrais voir des pauvres et des reines ;
Je voudrais voir des roses et du sang;
Je voudrais voir mourir d’amour ou bien de haine.

Et puis m’en revenir plus tard
Narrer mon aventure aux curieux de rêves
En élevant comme Sindbad ma vieille tasse arabe
De temps en temps jusqu’à mes lèvres
Pour interrompre le conte avec art…


2. La Flûte enchantée (Vidéo : 9:54)
Très lent à 4/4
Si mineur (Mi3-Fa#4)

L’ombre est douce et mon maître dort,
Coiffé d’un bonnet conique de soie,
Et son long nez jaune en sa barbe blanche.
Mais moi je suis éveillée encore
Et j’écoute au-dehors
Une chanson de flûte où s’épanche
Tour à tour la tristesse ou la joie,
Un air tour à tour langoureux ou frivole
Que mon amoureux chéri joue,
Et quand je m’approche de la croisée,
Il me semble que chaque note s’envole
De la flûte vers ma joue
Comme un mystérieux baiser.


3. L’Indifférent (Vidéo : 13:02)
Très lent à 6/8
Mim Majeur (Do#3-Mi4)

Tes yeux sont doux comme ceux d’une fille,
Jeune étranger,
Et la courbe fine
De ton beau visage de couette ombragé
Est plus séduisante encor de ligne.
Ta lèvre chante sur le pas de ma porte
Une langue inconnue et charmante
Comme une musique fausse.
Entre ! Et que mon vin te réconforte…
Mais non, tu passes
Et de mon seuil je te vois t’éloigner
Me faisant un dernier geste avec grâce
Et la hanche légèrement ployée
Par ta démarche féminine et lasse…



Image par lance87 de Pixabay